Quand j’étais petit garçon, je passais mes vacances de Pâques et d’été dans la maison de campagne familiale à Cabrerolles dans l’Hérault. C’est donc au milieu des schistes qui donnent ce goût particulier aux vins de Faugères que j’ai fait mes premiers tours de roue sur un vélo à roue fixe, sans frein, pneus pleins et munis de roues stabilisatrices. C’était un cadeau de ma grand-mère maternelle acheté dans un magasin de jouets (en ce temps là, il n’y avait pas de grandes surfaces) sur les allées Paul Riquet à Béziers. Avec cette première monture je découvris les joies du pédalage surtout dans la cour mais aussi sur les chemins alentours comme le font tous les enfants accompagnés de leurs parents à pied. Parmi ces très courtes promenades on « montait » très fréquemment au lieu dit La Madone situé quelques centaines de mètres devant la maison avec quelques 5m de dénivelée. Cette madone faisait partie du domaine et la famille venait régulièrement s’y recueillir et prier.
Quelques mois plus tard mon autre grand-mère, la paternelle qui m’initia au cyclotourisme (1) munie d’une clef à molette, m’enleva les roues stabilisatrices. Après la panique, les essais et les chutes usuelles dans ces circonstances, oh! miracle l’effet gyroscopique étant assimilé, je savais faire du vélo et continuais mes courtes escapades sur les chemins alentours autorisés.
A l’âge de raison, disposant d’un vrai vélo avec roue libre et freins mais sans vitesse et surtout de l’autorisation d’aller sur la route voisine qui aujourd’hui encore est très peu fréquentée, nous commencions avec mes frères et les copains à circuler sur les routes alentours.
Des dizaines d’années plus tard, des milliers de Km parcourus et des centaines de cols franchis, lorsque je décidai de rejoindre la confrérie des 100 cols et préparai la liste à faire valider, je notai ainsi le col du Peyrou (34-200) que je considérais comme le premier col franchi à l’âge de 7 ans.
En février 2011, 2 membres du Montpellier Tandem Club Handisport dont un déficient visuel (cent cols n°6553) décident d’aller chasser le col en tandem en partant de Pézenas. Ils traversent ainsi Alignan du vent, Murviel les Béziers, Causses et Veyran, Saint Nazaire de Ladarez et escaladent le col de la croix de Barrac (34-261) et le col du Cardonet (34-292). Ils reviennent sur leur pas, pique niquent au col de la croix de Barrac puis descendent au lieu dit de Barrac et franchissent le Rieutord. Au début de la côte qui suit, le pilote c’est-à-dire l’auteur de ce texte, dit à son équipier que l’on va s’arrêter un peu plus loin pour faire un pèlerinage. En arrivant au Château Haut Fabrègues, le tandem quitte la route et s’engage sur la piste qui passe devant les bâtiments du domaine puis monte très légèrement à La Madone. En ce lieu ils s’arrêtent et le pilote explique qu’ils se trouvent sur un ancien domaine familial et que cette madone a été construite à la demande de son arrière grand père pour remercier la Dame de Lourdes d’avoir guérie sa fille que les médecins considéraient perdue par suite d’une maladie infectieuse qui, en l’absence d’antibiotiques, avait déjà emporté son fils aîné. Après quelques minutes de recueillement, le tandem reprend sa route jusqu’au proche sommet de la côte puis fait demi tour pour rejoindre la route abandonnée et aller chasser le col du Peyrou (34-200), traverser Cabrerolles puis Faugères et gagner rapidement Pézenas. Les 3 cols ainsi franchis ce jour seront crédités au compte du déficient visuel.
En mars 2012, en lisant le compte rendu de la randonnée de J Mancip (cent cols n°4760) (2) qui emprunte des chemins similaires, je découvre l’existence du col de Fabrègues validé par la CERP (3) dans l’additif 2010 et qui m’avait échappé. Ainsi je découvris que ce col de Fabrègues, je l’avais franchi sans le savoir pour la première fois avec mon vélo d’enfant et que le col du Peyrou n’était donc pas le premier de ma liste. Ce col de Fabrègues je l’ai parcouru des centaines de fois au cours de mes jeux jusqu’à l’âge de 12 ans, date à laquelle la famille se sépara de ce fabuleux domaine. Une nouvelle fois soixante ans plus tard j’y suis retourné en tandem avec un déficient visuel et toujours en ignorant que c’était un col. Ni moi ni le déficient visuel ne l’avons donc ajouté sur notre liste de 2011, ce sera pour l’an prochain.
Ce que je retiens de cette histoire, c’est que les cols que nous chassons méritent une attention particulière et une réflexion car ils ont une âme. Un col n’est pas seulement une définition géographique avec une altitude et des coordonnées, il y a en lui une histoire que généralement nous ne connaissons pas. Mais si le col existe c’est qu’il a participé à l’aventure humaine et que certains hommes ont éprouvé le besoin de le baptiser. Souvent ils présentent une croix, un calvaire témoins de cette aventure. Un simple cairn a déjà une telle signification et même en l’absence de marque on peut penser que quelque chose qui nous échappe s’est produit au cours des temps. Dans le cas du col de Fabrègues, bien que très concerné puisque situé sur le sol de mes ancêtres, je ne connaissais pas son existence et encore moins son origine. Seule La Madone très proche du col qui a marqué mon enfance a une histoire connue de ma famille et que je vous fais partager.
Daniel GOUY
(1) Un 1000eme col pas comme les autres. 2007 Club des 100 cols n°35 p44